La piraterie n’est jamais finie [Dossier]
Ces derniers jours la toile gabonaise est agitée par un sujet — le téléchargement illégal d’oeuvres musicales; depuis que le morceau « Génération Miracle » vendu à 1000 FCFA sur GStore, a fuité sur Soundcloud quelques heures seulement après sa sortie. Ce sont 17k écoutes qui ont été enregistré sur ce compte pirate moins de 2h après la publication. Ces discussions ont levé plusieurs points que nous allons aborder dans cet article.
Qu’est-ce que le téléchargement illégal ou piratage ?
Avant de traiter du cas du Gabon, essayons d’abord de définir le « téléchargement illégal ». Bien qu’il puisse exister plusieurs définitions, celle d’ Hadopi semble mieux adaptée à notre contexte.
La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) définit le téléchargement illégal — ou encore piratage, comme le fait d’acquérir ou d’accéder via internet à des œuvres (musique, films…) protégées par des droits d’auteurs et sans que soient rémunérés, d’une quelconque façon, les artistes et producteurs.
La rémunération des artistes et des producteurs est l’élément qui a principalement attiré notre attention. Si l’on s’en tient à cette définition, pirater une oeuvre musicale revient à priver les artistes et les producteurs du fruit de leur travail.
D’après un rapport publié en 2018 par la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique (FIIP), il s’avère que 38 % des consommateurs de musique se la procurent encore de façon illégale. À titre d’exemple, L’album Nothing Was The Same (2013) de Drake est l’un des plus piratés de l’histoire de la musique contemporaine. Depuis, il y a eu plusieurs autres cas similaires partout dans le monde, notamment en Afrique.
Qu’en est-il au Gabon ?
Au Gabon, le piratage d’œuvres musicales n’est pas une pratique isolée. On se souvient encore des kiosques rouges aux abords du centre commercial MBOLO à Libreville qui proposaient en vente — à des tarifs dérisoires, un large répertoire de musiques d’artistes nationaux et internationaux obtenu de façon illégale.
Avec l’avènement d’internet, les sites comme Tubidy, Waptrick ou « Youtube to mp3 » — bien connus de certains amateurs de musique ont pris le relais pour ce qui est téléchargement illégal. Ces sites permettent d’extraire du contenu disponible sur les plateformes de streaming légales comme Youtube. Certains vont jusqu’à s’échanger les morceaux via les réseaux sociaux (Whatsapp) ou à les publier de façon libre sur d’autres plateformes.
C’est ce qui s’est produit le 9 Juin 2020, lorsque les jeunes artistes du groupe Freshi Boys, Neda et Boy KLS ont vu leur titre « Génération Miracle » produit par le label Auspice Music Group (AMG), générer plus de 17k écoutes sur Soundcloud via un « compte pirate », alors qu’ils espéraient que leur fans respectifs s’acquittent de la somme de 1000 FCFA pour bénéficier de façon légale du morceau sur GStore.
Depuis, le sujet est devenu viral, le site Médias 241 publiait un article à ce propos le lendemain titré GÉNÉRATION MIRACLE » LE PROJET MORT-NÉ DE AMG. Des artistes se sont aussi exprimés via leur compte Facebook (Warren Jazz, Smiters…). Il s’en est suivi une campagne de sensibilisation #AcheteMaMusique lancée par plusieurs artistes et d’acteurs du milieu — dont Bwelitribe — afin d’inciter le public à consommer la musique de façon légale.
Et la question des droits d’auteurs ?
Même si certains tendent à dire que les droits d’auteurs n’existent pas au Gabon parce que les artistes ne reçoivent pas les sommes liés à la diffusions et à la reproduction de leurs oeuvres mais aussi aux différentes prestations, il existe tout de mêmes des textes de lois qui protègent les artistes au Gabon. C’est le cas de la Loi n° 1/87, du 29 juillet 1987, instituant la protection du droit d’auteur et des droits voisins.
Cette loi protège les artistes en cas de reproduction illégale de leurs oeuvres (Art.30 de la Loi n° 1/87, du 29 juillet 1987) et prévoient des sanctions lorsque cela se produit (Art.75 de la Loi n° 1/87, du 29 juillet 1987)
Art. 30. – Sauf disposition contraire de la présente loi, l’exploitation de l’oeuvre ne peut avoir lieu sans I’autorisation préalable formelle et par écrit de l’auteur, ou de ses ayants droit ou ayants cause.
Toute representation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans l’autorisation prevue à l’alinéa ci-dessus est illicite. II en est de meme pour la traduction, l’adaptation, l’arrangement, la transformation ou la reproduction par un procédé quelconque.
Art. 75. – Quiconque aura porte atteinte au droit d’auteur reconnu sur toute oeuvre protégée pourra être condamne a des dommages-intérêts dont le montant sera determine par la juridiction compétente.
Le cas « Génération Miracle » – quelles leçons en tirer ?
Connaitre sa fan base
Depuis la sortie du double album de Lord Ekomy Ndong, plusieurs artistes se sont rués sur la plateforme GStore tentant de monétiser eux aussi leurs contenus, en espérant de faire des chiffres similaires. Bak Attak par exemple dont l’album Indigène Street (Nature Profonde) était déjà présent sur la plateforme, a sorti le titre Baungona Virus à 100 FCFA pour voir comment devait se comporter ses fans mais aussi tous les consommateurs de musique face à ce prix.
Il aurait été interessant pour le Label AMG de tester la plateforme en incitant par exemple chacun des artistes à publier du contenu exclusif sur la plateforme afin d’anticiper les chiffres de « Generation Miracle ». Meme si cette collaboration a surpris de façon positive le public, le tarif de 1000 FCFA restait tout de même élevé par rapport à la cible. « Génération Miracle » étant le premier single à ce prix disponible sur la plateforme.
Bien ficeler sa stratégie
Avec l’avènement du streaming, certains artistes semblent oublier que la sortie d’un projet se doit d’être bien ficelée et chaque étape doit être correctement planifié. Il ne suffit pas seulement de publier le morceau sur les différentes plateformes de streaming, il faut penser à une réelle stratégie dite de marketing musical.
Eduquer le public
L’écosystème musical gabonais a longtemps été bercé par les concerts gratuits. De ce fait, le public n’a pas réellement conscience que la musique est un art, mais aussi un métier pour ces artistes – tout travail méritant salaire. Une bonne partie du public gabonais est donc composé de consommateurs non avertis sur la valeur – financière – que peut représenter un projet musical. La campagne de sensibilisation lancée sur les réseaux sociaux est par exemple un bon moyen d’éduquer le public.
« Il faut aider le public à nous aider en tant qu’artiste en lui faisant comprendre que notre salaire d’artiste c’est la vente de nos musiques (vente en ligne incluse) et les prestations artistiques. Il faut changer les habitudes du public. Le public doit acheter notre musique en ligne et inviter votre entourage à faire de même et surtout il faut arrêter de partager la musique via les réseaux sociaux (Whatsapp). » — Warren Jazz
Sources
https://www.icimusique.ca/articles/20578/retour-piratage-musical
https://medias241.com/culture/musique-generation-miracle-le-projet-mort-ne-de-amg/
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